Emilie Arlet, Blog du Mash Up Festival, 2013

Exploratrice des réseaux électroniques et de l’Internet, vous créez des dispositifs artistiques en jouant sur la réappropriation, la manipulation et la transformation d’images préexistantes. Comment choisissez-vous les matériaux que vous récoltez (images, GIF animés, captures d’écran, données récupérées sur des pages web ou des blogs) avant de les retravailler?

La plupart du temps, je choisis les images pour l’ensemble des gestes et des décisions qu’impliquent leur fabrication et leur diffusion plutôt que pour elles-mêmes. Je pars d’images qui m’intriguent, et qui me font me poser cette question: comment et pourquoi cette image a-t-elle atterri ici ?

Pour Jaws.gif, qui est un .gif animé, j’avais été interpellée par ces images de personnes qui, souhaitant montrer leur strass de dents, se prennent en photo la bouche ouverte et la diffusent sur Internet. Montrer ses dents, c’est quelque chose que l’on réserve habituellement au dentiste. Chez les animaux c’est une posture menaçante… Ces images ont quelque chose du rituel primitif, c’est ce qui m’a donné envie de les collecter. Ensuite je les ai assemblées au sein d’un GIF, les images défilent, elles sont toutes calées de sorte que le strass reste toujours à la même place.

Dans le cas de Venezzia_biennial_jn_3.jpg, j’avais remarqué une image qui m’était familière dans un contexte différent du contexte auquel celle-ci appartenait habituellement. C’était en fait une image qui avait illustré pendant environ 5 ans plus de 700 articles Wikipédia liés à l’art contemporain. J’ai alors réalisé une sorte d’enquête autour de cette image afin de retracer son parcours.

Pour la vidéo 300 Avatars par défaut, je me suis inspirée d’une vidéo d’Oliver Laric: 787 Cliparts. Dans cette vidéo, l’artiste fait défiler rapidement et en boucle 787 de ces images, tirées d’une base d’une données et destinées au départ à illustrer des documents de bureau ou des cartes de vœux. L’animation 300 Avatars par défaut est constituée d’images collectées sur Internet et associées. Le défilement rapide des avatars créer un mouvement rendu possible grâce aux infimes différences entre les avatars par défaut. L’animation montre ainsi à quel point les graphistes ou webmasters qui produisent ces images s’inspirent les uns des autres.

À travers vos œuvres, vous interrogez, le plus souvent avec humour, le sens de nos pratiques interactives et notre rapport intime aux nouvelles technologies. Il y a-t-il une forme de dénonciation dans cette exploration aux limites de l’identité ?

Dans les Chroniques informatiques, l’imaginaire développé au quotidien autour de nos machines fait l’objet de petites narrations racontées en voix off à la première personne. Nos ordinateurs ont d’ores et déjà pris le contrôle sur nous dans le sens où nos comportements et nos perceptions spatio-temporelles sont aujourd’hui conditionnés par les machines. À travers mes travaux, j’essaye de comprendre la manière dont cela se traduit et de m’en amuser.

Dans votre pratique artistique, vous copiez et transformez sans cesse les images, les combinant selon une nouvelle logique. C’est le cas de Art Now, une œuvre dans laquelle vous retravaillez des photographies de livres des éditions Taschen, qui agit comme une sorte d’hommage aux artistes qui vous ont précédés. Comment intégrez-vous l’ascendance de vos œuvres, le travail fait par d’autres et l’origine des données dans votre processus de création artistique?

Comme mon travail porte souvent autant sur l’origine des données que sur les données elles-mêmes, les sources sont incluses de fait. Le travail réalisé par d’autres, qu’il soit artistique ou non est aujourd’hui un matériau comme un autre pour beaucoup d’artistes. Les œuvres devraient plus être considérées comme des biens communs que comme des productions originales, privées et intouchables.

L’évolution du droit de la propriété intellectuelle, le copyleft et les licences Creative Commons ont-ils changé votre façon de travailler ? Comment concilier rémunérations en droits d’auteur et mise à disposition de vos œuvres?

La question du droit d’auteur est une question qui dans mon travail intervient plutôt après coup, au moment de la diffusion. Pour chaque projet, j’avise en fonction de la provenance des données et de ce qu’il me semble le plus approprié de faire : demander les permissions, acheter les images, ou même le cas échéant ne pas diffuser. La primeur pour la diffusion d’une pièce peut-être source de rémunération.

http://www.mashupfilmfestival.fr/blog/2013/06/10/caroline-delieutraz-collecte-toutes-sortes-de-materiaux-disponibles-sur-la-toile-pour-les-manipuler-et-occuper-a-sa-maniere-ce-monde-volatile-en-perpetuel-mouvement/